En principe, le contrat d’assurance est conclu par et pour une personne déterminée.
Toutefois, le contrat peut également être souscrit « pour le compte de qui il appartiendra ». Le mécanisme légal de la stipulation pour autrui est alors emprunté au Code Civil. Dans cette hypothèse, le souscripteur aura un intérêt à couvrir le risque qui pèse sur lui et/ou sur un tiers identifié ou du moins identifiable.
Dès lors, l’intermédiaire en assurances sera confronté à deux séries de difficultés. D’abord, il devra identifier les sujets du contrat souscrit. En effet, les qualités de souscripteur, d’assuré et de bénéficiaire sont ici réparties entre au moins deux personnes distinctes. Ensuite, l’intermédiaire devra déterminer précisément l’objet du contrat.
Nous verrons ci-après le contexte dans lequel s’inscrivent les risques pesant sur l’intermédiaire lors de la souscription d’un tel contrat avant d’étudier les principaux obstacles que l’intermédiaire en assurances doit éviter à chaque étape du contrat.
Contexte et enjeux pour l’intermédiaire
L’assurance pour compte est donc une variante de la stipulation pour autrui, consacrée à l’article 1205 du Code Civil. Nous pourrions d’ailleurs plagier cet article pour convaincre celui qui en douterait encore : <em<« On peut stipuler pour autrui. L’un des contractants, le stipulant [souscripteur], peut faire promettre à l’autre, le promettant [l’assureur], d’accomplir une prestation au profit d’un tiers, le bénéficiaire [l’assuré pour compte]. Ce dernier peut être une personne future mais doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l’exécution de la promesse [sinistre]. »
Pour éviter toute confusion et marquer sa spécificité, le Code des Assurances prévoit toutefois une disposition propre : « L’assurance peut aussi être contractée pour le compte de qui il appartiendra. La clause vaut, tant comme assurance au profit du souscripteur du contrat que comme stipulation pour autrui au profit du bénéficiaire connu ou éventuel de ladite clause » (article L112-1, alinéa 2). La particularité par rapport au droit commun tient à ce que le contrat n’est ici, en principe, pas simplement conclu pour le seul tiers mais également pour le souscripteur. A ce titre, le contrat d’assurance vie, assurance pour compte répondant à un régime juridique très encadré, illustre parfaitement cette spécificité : le souscripteur peut contracter pour son compte et/ou pour le compte de qui il appartiendra, ce bénéficiaire étant déterminé ou du moins déterminable (ex. : enfant à naître).
Les hypothèses dans lesquelles la loi impose (1) une assurance pour compte ou régit précisément les rapports entre souscripteur, assureur et bénéficiaire présentent un intérêt spécifique pour l’intermédiaire. La situation qui nous intéresse ici est celle de l’intermédiaire qui met en relation un prospect et une compagnie pour couvrir le risque pesant sur son client et un tiers, non pas parce que la loi le leur dicte mais, parce qu’ils le souhaitent. Autrement dit, conscient du caractère aggravé du projet qui lui est décrit, l’intermédiaire recommande une assurance pour compte, couvrant ainsi le risque de base et le risque aggravant quand bien même celui-là ne pèserait pas directement sur son client, là où en principe deux personnes distinctes devraient souscrire chacune une police. En pratique, le prospect se présente généralement comme étant contraint de souscrire ce contrat à la demande dudit tiers au contrat d’assurance.
Lorsque le schéma contractuel est parfaitement limpide et efficace, de sorte que les garanties souscrites sont mobilisables et mobilisées en cas de sinistre, soit au profit du souscripteur soit au bénéfice de l’assuré pour compte, la question de la responsabilité de l’intermédiaire ne se posera pas. Malheureusement, tel n’est pas toujours le cas en pratique. En effet, la compagnie peut prétendre qu’aucun contrat n’a été souscrit, ou qu’il ne l’a été que pour le souscripteur ou, à l’inverse, pour le seul assuré pour compte. Elle peut également opposer une exclusion du contrat, le non-respect d’une condition de garantie ou purement et simplement la résiliation du contrat. La responsabilité civile de l’agent général ou du courtier sera alors parfois recherchée par le souscripteur ou l’assuré pour compte, sur la base d’un prétendu manquement à son obligation d’information, de conseil ou de mise en garde. Rappelons d’ores et déjà que l’agent général et le courtier sont tenus à une obligation de moyens et non de résultat. Par conséquent, la seule absence de couverture assurantielle ne permet pas d’établir que la responsabilité de l’intermédiaire serait engagée. De même, les qualités du souscripteur seront prises en compte. Ainsi, la personne qui souscrit un contrat pour le compte d’une société dont il aurait la gestion n’est pas dans la même situation que celui qui n’effectue pas cette gestion. Enfin, le demandeur devra prouver que la faute qu’aurait commise l’intermédiaire lui a causé un préjudice.
De là, la situation de ce dernier sera analysée in concreto, au cas par cas, de sorte qu’il n’est pas possible d’établir une liste exhaustive de recommandations à suivre. Nous pouvons en revanche, au regard de la jurisprudence, dégager quelques grands principes à suivre.
Être vigilant à chaque étape du contrat
Pour éviter d’engager sa responsabilité, l’intermédiaire en assurance doit faire preuve de vigilance. En effet, il est susceptible de commettre une faute aussi bien lors de la souscription, que de l’exécution ou même de la résiliation du contrat.
Les risques lors de la souscription du contrat
L’article L112-1, alinéa 2 du Code des Assurances, fait référence à une « clause » d’assurance pour compte. Toutefois, la jurisprudence admet que l’assurance pour compte puisse être tacite. Elle est alors déduite de la volonté exprimée par les parties au contrat, c’està- dire le souscripteur et la compagnie d’assurance. Par souci de sécurité et parce que la loi lui impose d’établir une fiche d’intermédiation, l’intermédiaire doit privilégier la première option. Rappelons en effet que l’intermédiaire doit « préciser les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un produit d’assurance déterminé. Ces précisions, qui reposent en particulier sur les éléments d’information communiqués par le souscripteur éventuel, sont adaptées à la complexité du contrat d’assurance proposé » (art. L520-1, II, 2° du Code des Assurances). La signature de la fiche conseil et des conditions particulières rendra ces informations opposables au souscripteur et à l’assuré pour compte. En cas de mise en cause, ces éléments seront de nature à écarter sa responsabilité (étant entendu que toute procédure judiciaire implique un aléa relatif aux circonstances de l’espèce).
Exemple N°1 : Le propriétaire d’un bâtiment à usage commercial le donne à bail à un exploitant. Ce dernier souscrit, par l’intermédiaire d’un agent général, un contrat couvrant le risque d’incendie. Un incendie ravage l’immeuble mais la compagnie refuse sa garantie au propriétaire au motif qu’aucun contrat n’avait été souscrit pour son compte. Le propriétaire se retourne alors contre la compagnie et l’agent général. Les magistrats le déboutent au motif qu’il ne démontre pas que le souscripteur et la compagnie avaient convenu de souscrire une assurance pour son compte.
Le litige sur la responsabilité de l’intermédiaire ne résultera pas nécessairement d’un défaut d’assurance pour le compte du tiers. Dans certains cas, c’est le souscripteur qui peut se retrouver sans couverture assurantielle. Le contrat n’est alors souscrit que pour le compte d’autrui. Le souscripteur, cocontractant, tentera alors de se retourner contre l’intermédiaire en prétendant que la conclusion d’un contrat pour le seul bénéfice d’un tiers n’aurait aucun intérêt pour lui. Là encore, il est primordial pour l’intermédiaire de recueillir les besoins du prospect lors de l’établissement de la fiche d’intermédiation, que ce soit au stade de la souscription initiale que d’une éventuelle modification du contrat, et d’attirer son attention sur l’absence de garantie à son égard. Quoi qu’il en soit, que le contrat couvre le seul souscripteur, le seul assuré pour compte ou les deux, les obligations pesant sur le premier ne sont pas opposables à l’assuré pour compte. C’est notamment le cas de celles prévues à l’article L113-2 du Code des Assurances relatives à la déclaration du risque ou toute circonstance nouvelle de nature à l’aggraver. En revanche, les sanctions prévues au contrat sont opposables à l’assuré pour compte, notamment celles prévues aux articles L113-8 et L113-9 du code précité. Autrement dit, l’assuré pour compte peut se retrouver privé de garantie en raison d’un manquement qui ne lui est pas imputable. Lorsque l’assurance pour compte a été imposée par le bénéficiaire du contrat au souscripteur, il tentera de se retourner contre ce dernier mais également contre l’intermédiaire. Or l’intermédiaire n’a pas à vérifier si les déclarations du souscripteur sont conformes à la réalité, ni à informer l’assuré pour compte du contenu du contrat souscrit (ex. : activité couverte, limites de garan- tie, conditions à respecter). Il est donc préférable de rappeler formellement au souscripteur qu’il lui appartient, et à lui seul, d’informer l’assuré pour compte.
Exemple N° 2 : Un contrat couvrant les risques de loyers impayés et de dégradations causées à l’immeuble est souscrit, par l’intermédiaire d’un courtier, par un agent immobilier pour le compte du bailleur. La compagnie oppose, à l’occasion d’un sinistre, une exclusion de garantie à l’assuré pour compte. Ce dernier assigne l’agent immobilier, qui appelle en garantie le courtier et la compagnie. Si la responsabilité de l’agent immobilier est retenue en sa qualité de souscripteur professionnel, son recours contre le courtier et la compagnie est rejeté. Le tribunal retient en effet que le souscripteur pouvait, dès la souscription du contrat, constater que les conditions de garantie n’étaient pas réunies (TGI, 29 mars 2017).
Exemple N° 3 : Le propriétaire d’un immeuble conclut un bail commercial avec l’exploitant d’un risque aggravé. Ce dernier souscrit un contrat couvrant son activité et le bâtiment. Un questionnaire préalable unique est rempli par le souscripteur en présence du propriétaire, assuré pour compte. Quelques temps après, l’immeuble est incendié par l’exploitant. La compagnie refuse alors d’indemniser le propriétaire au motif que les déchéances tenant au comportement du souscripteur lui sont également opposables. Le propriétaire se retourne alors contre le courtier et prétend qu’il aurait dû être mis en garde par le courtier lors de la souscription sur les risques à ne souscrire qu’un seul contrat tant pour le propriétaire que pour le locataire (procédure en cours).
Les risques lors du règlement d’un sinistre
En cas de sinistre, il appartient au souscripteur de le déclarer à la compagnie, le cas échéant par le biais de son courtier ou de l’agent général. L’assuré pour compte, tiers au contrat, n’a pas à le faire. L’intermédiaire en assurances peut être amené à gérer le sinistre et constater alors qu’une condition de garantie n’est pas respectée par le souscripteur. Dans ce cas, sa responsabilité sera recherchée au titre de son devoir d’information et de conseil lors de la souscription (cf. supra). Elle peut également être recherchée par le souscripteur ou la compagnie s’il commet une faute propre à la gestion du sinistre. Or qui paie mal, paie deux fois. Dès lors, l’assuré pour compte pourra exiger le paiement de l’indemnité qui lui est due. Surtout, le souscripteur peut être contraint, au titre d’une obligation contractuelle le liant à l’assuré pour compte, de l’indemniser. Il fera alors l’avance de fonds versés à tort à un tiers et pourrait solliciter la condamnation de l’intermédiaire à des dommages et intérêts pour l’éventuel préjudice qui en résulterait pour lui.
A noter qu’en pareille hypothèse, la compagnie qui serait poursuivie pour régler le véritable créancier et qui ne parviendrait pas ensuite à récupérer les sommes indûment versées pourrait ensuite se retourner contre son agent général.
Exemple : Un employeur souscrit pour le compte de ses employés un complément de retraite dit « article 39 », ou « retraite chapeau ». Le souscripteur déclare à son courtier un premier départ à la retraite. Le courtier lui confirme ainsi qu’à l’assuré pour compte le versement dudit complément de retraite. Quelques années plus tard, le souscripteur déclare un nouveau départ à la retraite. Or il découvre alors que le courtier a déjà indemnisé un autre salarié, parti en pré-retraite et ayant déclaré directement le sinistre en qualité d’assuré pour compte, de sorte que les fonds disponibles ne permettent pas le versement d’une nouvelle rente. L’employeur (souscripteur) indemnise son salarié (assuré pour compte) et exerce un recours contre le courtier (procédure en cours).
Les risques lors de la résiliation du contrat
Le contrat d’assurance pour compte peut être résilié pour différents motifs : à la demande du souscripteur ou de la compagnie, pour non-paiement de la prime, etc. Quoi qu’il en soit, la résiliation sera opposable à l’assuré pour compte. En effet, si ce dernier est un tiers intéressé au contrat, il n’en demeure pas moins tiers. Or l’intermédiaire n’a pas à informer l’assuré pour compte de cette résiliation. En pratique, il arrive que l’assuré pour compte ne découvre la résiliation du contrat le couvrant qu’à l’occasion d’un sinistre. Il sera alors tenté de rechercher la responsabilité de l’intermédiaire en assurances. Dans ce contexte, il est recommandé à l’intermédiaire d’attirer l’attention de son client sur le fait qu’il n’appartient qu’à ce dernier d’informer l’assuré pour compte de la résiliation du contrat.
Exemple : L’exploitant d’un fonds de commerce de pharmacie souscrit un contrat d’assurance couvrant ses risques professionnels ainsi que l’immeuble donné à bail par la SCI qu’il gère par ailleurs. A l’occasion de la cession du fonds de commerce, il demande la résiliation de son « contrat Multirisque Pharmacie », sans autre précision. Un sinistre détruit l’immeuble mais la compagnie refuse sa garantie au motif que le contrat a été résilié. La SCI assigne la compagnie et l’agent général. Le Tribunal rejette sa demande et retient que le défaut d’assurance n’est imputable qu’à la négligence du gérant de la SCI, qui aurait dû vérifier, lorsqu’il a résilié le contrat de la pharmacie qu’il exploitait, si les murs étaient toujours couverts au titre d’un contrat.
Afin de se prémunir, l’intermédiaire doit avoir une parfaite connaissance de la situation qui lui est soumise par son client et formaliser les différents échanges. Par précaution, ce formalisme ne doit pas être limité au stade de la souscription mais étendu à toute la relation commerciale.