En 2015, le Ministère de l’Intérieur dénombrait plus de 300.000 départs de feu déclarés, avec notamment une augmentation des feux d’entrepôts et locaux industriels (+17 %), des feux d’ERP avec locaux à sommeil (+16 %), des feux de végétations (+40 %) et des feux d’habitations (+5 %). Le législateur a imposé, dans un certain nombre de domaines, des obligations aux particuliers et aux entreprises afin de prévenir ce risque (II). De leur côté, les assureurs prévoient également des obligations dans les contrats qu’ils commercialisent (I). Tout cela n’est pas sans conséquence sur la responsabilité de l’intermédiaire d’assurance.

Mesures de prévention et obligations contractuelles, un devoir d’information renforcé ?

L’enjeu

Les contrats d’assurances prévoient des obligations à la charge de l’assuré. Elles reflètent la politique de souscription propre à chaque compagnie, en fonction des risques qu’elle entend couvrir ou non.

Dans le cadre de risques spécifiques, les compagnies exigent régulièrement de l’assuré la mise en place de mesures de prévention. C’est notamment le cas en matière de vol.
Exemple de clause. « Les moyens de protection minimum sont les suivants : présence d’une détection automatique d’intrusion reliée à une société de télésurveillance agréée APSAD ou gardiennage actif aux heures de fermeture (y compris weekend, nuits et jours fériés) 365 jours par an, par un gardien présent sur place, dédié à l’entreprise et affecté spécialement à cette mission. »

Pour le risque incendie des entreprises, ces mesures de prévention sont considérées comme la contrepartie d’une remise tarifaire. Si en contrepartie des mesures de prévention imposées à l’assuré, l’assureur va accorder une diminution tarifaire, ces obligations peuvent être de toutes natures.
Ces obligations contractuelles vont apparaître sous différentes formes. Selon les contrats, il pourra s’agir d’une déchéance, d’une exclusion de garantie ou encore d’une déclaration du risque de l’assuré. En cas de sinistre, l’assureur pourrait alors constater le non-respect par l’assuré de ses obligations contractuelles dès la souscription du contrat. Dans cette hypothèse, il faut considérer que la garantie de l’assureur n’est pas due, ce depuis l’origine, faute pour l’assuré de s’être conformé aux obligations prévues au contrat. Mais la compagnie peut également constater leur disparition en cours de contrat. Il faut alors considérer que la suppression d’une mesure de prévention par l’assuré, qui peut ne pas être le souscripteur du contrat (notamment dans le cadre d’une assurance pour compte), empêche la mobilisation de la garantie au jour du sinistre.

Dans les deux cas, précisons que l’assuré ne pourra pas prétendre qu’il aurait tout fait pour se conformer aux exigences contractuelles et qu’il aurait été empêché par un évènement extérieur. L’absence d’une mesure de prévention prévue au contrat justifie, à elle seule, une sanction de l’assureur quand bien même le respect de cette obligation n’aurait pas empêché la survenance du sinistre.

Exemple. L’exploitant d’une discothèque souscrit un contrat d’assurance comportant notamment une garantie Incendie. Lors de la souscription, l’établissement est doté d’un système de télésurveillance. Deux ans après, l’assuré résilie le contrat de télésurveillance en raison de plusieurs dysfonctionnements et entame des négociations avec un autre prestataire. Dans l’intervalle, un incendie détruit l’immeuble et la compagnie, qui ne conteste ni les dysfonctionnements ni les négociations précités, refuse sa garantie en raison de l’absence de télésurveillance au jour du sinistre.

En tout état de cause, ce n’est qu’après sinistre que l’assureur constatera le manquement de l’assuré et appliquera les sanctions prévues au contrat.

L’obligation d’information de l’intermédiaire

Lorsque la compagnie oppose à son assuré une sanction découlant du contrat d’assurance, l’assuré va être tenté de se retourner contre l’intermédiaire, en prétendant qu’il n’aurait pas été informé ou du moins que son attention n’aurait pas été attirée sur l’existence de mesures de prévention spécifiques.
Dans cette hypothèse, ces conditions de garantie sont propres à la compagnie. Le rôle de l’intermédiaire d’assurance est donc bien de les rappeler à son client, d’autant qu’elles pouvaient ne pas être prévues dans le contrat précédent de l’assuré. En effet, dans le cadre d’une reprise à la concurrence par exemple, l’intermédiaire doit attirer l’attention du souscripteur sur d’éventuelles conditions de garantie plus restrictives (1).
Cela est d’autant plus vrai qu’en pratique les clauses de connaissance des risques, par lesquelles l’assureur est réputé connaître le risque et renonce ainsi à opposer une ou plusieurs sanctions prévues au contrat, se font de plus en plus rares. La probabilité d’un refus de garantie est donc plus importante, exposant ainsi davantage l’intermédiaire.

Exemple N°1 :
 L’exploitant d’un fonds de commerce souscrit, pour son compte et celui du bailleur, un contrat d’assurance par l’intermédiaire de son courtier. Aucune visite de risque n’est effectuée en amont. Un incendie ravage le bâtiment et la compagnie mandate un expert. Ce n’est qu’à ce moment-là que le souscripteur est interrogé sur l’installation d’alarmes et les prestations de télésurveillance. La compagnie refuse d’indemniser les assurés en invoquant un manquement aux conditions de garantie. Les assurés se retournent alors contre le courtier au motif qu’il aurait dû attirer leur attention sur cette exigence pourtant prévue au contrat qu’il a dûment signé. (Dossier en cours)
A noter également qu’en pratique, les compagnies exerçant en LPS (libre prestation de service) effectuent rarement des visites de risque et renvoient purement et simplement aux termes du contrat. La question du respect, par l’intermédiaire, de son devoir d’information se pose alors avec encore plus d’acuité en cas de difficulté.

Exemple N°2 : Une compagnie refuse de prendre en charge le sinistre incendie déclaré par l’assuré au motif que les moyens de prévention à mettre en place, décidés après la visite de risque, n’ont pas été installés. L’assuré reproche à son courtier de ne lui avoir transmis qu’une partie des observations formulées par la compagnie à l’issue de la visite de risque, de sorte qu’il a perdu une chance de pouvoir se conformer aux exigences de la compagnie.

S’agissant de la communication d’une information objective, figurant au contrat indépendamment des spécificités du risque déclaré, il serait tentant de renvoyer l’assuré aux pièces contractuelles (Conditions particulières, générales, voire spéciales ou autres annexes).

Après tout, l’intermédiaire d’assurance n’a pas à attirer l’attention de son client sur les termes d’un contrat parfaitement clair. Toutefois, la charge de la preuve étant inversée, il appartiendra d’abord à l’intermédiaire de prouver qu’il a bien rempli son obligation d’information.

L’intermédiaire doit donc être particulièrement vigilant lors de la souscription d’un contrat. Si les polices d’assurances prévoient une clause de renvoi, par laquelle l’assuré reconnaît avoir reçu l’ensemble des pièces contractuelles, l’intermédiaire a tout intérêt à attirer l’attention de son client sur les spécificités du contrat proposé. Cela implique donc non seulement une bonne connaissance de son client mais également une maîtrise des clauses contractuelles.
Il joue également un rôle non moins important en cours d’exécution du contrat. Par exemple, il peut être amené à se déplacer chez son client en cours de contrat. En cas d’application d’une sanction contractuelle par la compagnie, l’assuré peut s’appuyer sur ces visites pour prétendre que l’intermédiaire aurait pu constater l’absence de telle ou telle mesure de prévention et, donc, aurait dû attirer son attention sur les risques encourus au titre de la police souscrite en cas de sinistre. Autant de situations diverses que l’intermédiaire d’assurance doit anticiper pour veiller à ce que son client ne puisse pas lui reprocher de ne pas avoir été suffisamment informé et conseillé sur les spécificités du contrat qui lui a été proposé.
A côté des obligations purement contractuelles, l’autre série de questions qui se posent en matière de mesures de prévention concerne l’éventuelle obligation d’information de l’intermédiaire à propos des obligations légales, qui s’imposent à un assuré indépendamment de tout contrat d’assurance.

Mesures de prévention et obligations légales : un devoir de conseil atténué ?

De nombreux textes de lois, règlements ou encore arrêtés édictent des obligations que toute personne concernée est tenue de respecter. Celles-ci concernent aussi bien le particulier que le professionnel selon son activité ou le bien qu’il possède ou loue.
Or, certaines des obligations légales, concernant notamment la protection des biens et des personnes contre l’incendie par la mise en œuvre de contrôles périodiques, ont été reprises par les assureurs afin de les ériger également en obligations contractuelles, leur respect devant diminuer le risque de survenance de l’incendie ou son intensité. Des assureurs les reprennent stricto sensu, tel est le cas notamment lorsque les compagnies se contentent de solliciter d’un établissement employant du personnel et accueillant du public la preuve de la vérification annuelle des installations électriques imposées par le Code du Travail (2) sans demander le certificat Q18 ou Q19, dont le contenu a été élaboré par l’APSAD.

Exemple de clause. « L’assuré déclare que l’établissement est doté d’une installation d’extincteurs mobiles agréée NFA2P mise en place et vérifiée annuellement par une entreprise qualifiée. L’assuré s’engage à maintenir l’installation en parfait état de fonctionnement en se conformant aux consignes d’utilisation et de maintenance établies par l’installateur et en remédiant aux défauts signalés dans les comptes rendus de vérification annuelle ».

Il en est de même concernant les extincteurs, qui doivent obligatoirement être vérifiés annuellement indépendamment de la fourniture du certificat Q4 demandé par 60 % des assureurs. Le particulier peut également être concerné par différentes règlementations comme le ramonage de sa cheminée (dont le non-respect constitue une contravention sanctionnée par une amende de troisième classe pouvant aller jusqu’à 450 euros), la pose de détecteur de fumée ou l’entretien annuel de sa chaudière à gaz que les assureurs pourraient également reprendre à leur compte.
Ces obligations, reprises par les assureurs, vont rentrer dans la sphère contractuelle sous différentes formes : déclaration du risque, conditions de garantie, mesures de prévention… leur non-respect par l’assuré ayant nécessairement des conséquences au moment de la survenance du sinistre. Les clauses du contrat pourront prévoir notamment l’application d’un plafond de garantie diminué et/ou une franchise augmentée, ou l’absence totale de prise en charge du sinistre si ces obligations constituaient une condition d’application de la garantie. L’assureur pourra également opposer une nullité de contrat en cas de fausse déclaration intentionnelle du risque ou une réduction proportionnelle de prime lorsque l’assuré aura déclaré avoir respecté une obligation alors que tel n’est pas le cas. Néanmoins, les assureurs ne peuvent en application de l’article L113-11 du Code des Assurances se prévaloir d’une déchéance de garantie en cas de violation des lois ou des règlements, à moins que cette violation ne constitue un crime ou un délit intentionnel.
En cas d’application de telles sanctions par l’assureur, l’assuré étant privé de tout ou partie de son indemnité, va de plus en plus souvent en imputer la responsabilité à « son » intermédiaire en assurance invoquant un défaut de conseil et d’information.

Exemple : Les gérants d’une discothèque souscrivent un contrat « multirisque professionnelle ». Trois ans plus tard un sinistre incendie survient dans les locaux. L’assureur refuse de l’indemniser eu égard à la non-conformité du risque : les installations électriques n’avaient pas été contrôlées annuellement ainsi que les extincteurs. L’assuré met en cause l’intermédiaire en assurance pour manquement à ses obligations de conseil et d’information. Or ces exigences, qui étaient respectées au moment de la souscription, n’étaient que le reflet de la règlementation très stricte de son activité (Affaire en cours).

Pour rappel, selon une jurisprudence constante, aucun manquement ne peut être imputé à un intermédiaire en assurance au titre de ses obligations de conseil et d’information à propos d’une indication connue de l’assuré ou qu’il aurait dû connaître, l’obligation de renseignement et de conseil ne s’appliquant pas à ce que l’autre partie sait ou doit savoir (ex. : CA Nimes 10/10/2015).
En l’occurrence, l’ensemble de ces obligations s’imposant à l’assuré en application d’un texte légal ou règlementaire qu’il est censé connaître et respecter, l’intermédiaire doit-il dès lors rappeler systématiquement à son client l’existence de ces obligations auxquelles il doit obligatoirement se conformer ou bien la simple existence de ces textes et les mentions de rappel sur le contrat sont-elles suffisantes ?

Une décision très récente (3), rendue suite à un incendie survenu sur une péniche que l’assureur a refusé de prendre en charge au motif que le propriétaire ne détenait pas de certificat de navigabilité, a précisé que, « compte tenu de la nature du bien assuré, [l’intermédiaire en assurances] n’avait aucune obligation de détailler les documents administratifs mentionnés qui correspondaient aux documents exigés par la loi pour tout détenteur de bateau et qui, de ce fait, ne présentait aucun caractère spécifique. » L’assureur se prévalait d’une condition de garantie qui mentionnait que la garantie était acquise « sous réserve que l’unité assurée dispose de tous les certificats et autorisations nécessaires à son exploitation conformément aux règles en vigueur en matière de navigation d’équipage ». Ce jugement fait écho à un arrêt rendu par la Cour de Cassation en date du 2 juillet 2002, qui énonçait le même principe pour des faits quasi-similaires.

L’obligation de conseil doit théoriquement être limitée au cadre de l’opération d’assurance. Or, dans ce cas d’espèce, le motif du refus de l’assureur ne portait pas sur une problématique spécifique à l’assurance mais résultait d’un texte légal que l’assuré n’avait pas respecté et qu’il était censé connaître. L’existence d’une obligation légale serait en conséquence un élément pour écarter la responsabilité de l’intermédiaire, d’autant plus si les mesures de précautions émises par l’assureur sont moindres par rapport au texte légal ou règlementaire. Tel est le cas du ramonage, pour lequel l’assureur peut n’en solliciter qu’un seul, alors que l’arrêté préfectoral ou municipal peut en prescrire deux à des périodes très précises. A l’inverse, certains contrats d’assurance ne font référence qu’au respect de l’obligation de mettre en œuvre les moyens de prévention et de protection définis par les lois et règlements en vigueur sans en préciser le contenu. Par exemple, concernant les biens immobiliers exposés à des risques de forêts, les magistrats pourraient avoir tendance dans ce cas à rechercher si l’intermédiaire a attiré l’attention de son client sur la nécessité de se renseigner sur l’obligation applicable afin de s’y conformer.

Les magistrats semblent être réceptifs aujourd’hui à cette limitation du devoir de conseil. Il n’est cependant pas certain que cette jurisprudence perdure. Le nombre croissant de mises en cause sur cette problématique et l’augmentation significative ces dernières années des textes qui régissent les obligations, tant des entreprises que des particuliers, pourraient conduire les magistrats à renforcer le devoir d’information et de conseil des intermédiaires d’assurances, considérés comme des sachants, sur des obligations légales incombant à leurs clients. L’adage selon lequel nul n’est censé ignorer la loi n’étant pas suffisant pour écarter la responsabilité d’un intermédiaire.

Conclusion

L’intermédiaire doit prendre en compte aussi bien l’évolution des contrats et des pratiques des compagnies que de la loi. Les assurés n’hésitent plus à mettre en cause leur agent ou courtier au titre du devoir d’information, information qu’ils interprètent de manière de plus en plus extensive.

(1) Sur la reprise à la concurrence, CGPA Conseils n° 20.
(2) Articles R.4226-14, R.4226-16 et R.4226-21 du Code du Travail et l’arrêté du 26 décembre 2011.
(3) TGI Agen du 24-10-2017.