Dix ans déjà que le devoir de conseil et l’obligation d’information ont été consacrés par la loi. Au fils des années, la jurisprudence a dessiné les contours et les limites du devoir de conseil.
S’attachant à l’étude au cas par cas des profils des assurés, les magistrats ont dégagé une obligation pour l’intermédiaire en assurances de conseiller leurs prospects et clients selon leurs compétences techniques et intellectuelles.
Les connaissances du client ayant une incidence sur l’étendue du conseil dû par l’intermédiaire en assurances, un équilibre des forces s’est dessiné. La jurisprudence a ainsi retenu une appréciation subjective du devoir de conseil.
Mais de récentes décisions de justice semblent renforcer cette obligation de conseil en ce que chaque client, peu important ses capacités à comprendre l’assurance, devrait recevoir un conseil complet.
Tous les assurés seraient donc des consommateurs d’assurances égaux devant l’information et le conseil dus par l’intermédiaire en assurances.
Un équilibre des forces consacré par la jurisprudence
Si l’article L.113-2 du Code des Assurances impose au client l’obligation de déclarer les caractéristiques et circonstances de son risque, l’intermédiaire en assurances lui, a une obligation d’information et un devoir de conseil.
La jurisprudence a posé la première pierre à l’édifice du devoir de conseil de l’intermédiaire en assurances par la formule désormais célèbre selon laquelle le courtier doit être un « guide sûr et un conseiller expérimenté » (1).
Elle s’attache depuis à donner corps et matière au devoir de conseil, entreprise qui a connu un nouvel élan avec l’entrée en vigueur de la loi du 15/12/2005 (2) qui lui a donné une assise légale.
Ce devoir de conseil ne peut cependant pas être illimité. Au fil des décisions rendues, la jurisprudence a affiné les limites de ce devoir de conseil pesant sur les intermédiaires en assurances.
Il en est ressorti que l’étendue de ces obligations respectives de l’intermédiaire et du client fluctue selon les compétences techniques des intervenants à l’opération d’assurance.
Chaque décision de justice repose sur une étude au cas par cas des situations particulières.
Deux affaires a priori identiques se solderont différemment selon que le souscripteur sera ou non compétent pour comprendre et appréhender les situations.
Exemple N°1 : une société avait mis en cause la responsabilité civile d’un liquidateur judiciaire pour faute grave. Ce dernier déclare le sinistre à son assureur de responsabilité civile professionnelle par l’intermédiaire de son courtier.
Lorsque le liquidateur judiciaire demande la prise en charge de son sinistre trois ans après sa déclaration, la compagnie refuse au motif que la prescription est acquise. L’assuré assigne le courtier pour manquement à son devoir de conseil. C’est ainsi que la Cour de cassation (3) en 2013 a confirmé que le liquidateur judiciaire disposait des compétences nécessaires pour connaitre de la prescription biennale et qu’il ne saurait être reproché au courtier un quelconque défaut de diligence. L’assuré, qui possédait des connaissances en droit, aurait de facto dû connaître l’existence de cette prescription applicable en droit des assurances.
Exemple N°2 : une société avait mis en cause la responsabilité civile d’un liquidateur judiciaire pour faute grave. Ce dernier déclare le sinistre
à son assureur de responsabilité civile professionnelle par l’intermédiaire de son courtier.
Lorsque le liquidateur judiciaire demande la prise en charge de son sinistre trois ans après sa déclaration, la compagnie refuse au motif que la prescription est acquise. L’assuré assigne le courtier pour manquement à son devoir de conseil.
C’est ainsi que la Cour de cassation (3) en 2013 a confirmé que le liquidateur judiciaire disposait des compétences nécessaires pour connaitre de la prescription biennale et qu’il ne saurait être reproché au courtier un quelconque défaut de diligence. L’assuré, qui possédait des connaissances en droit, aurait de facto dû connaître l’existence de cette prescription applicable en droit des assurances.
L’esprit de cette décision a été suivi par le Tribunal de Besançon (4) en 2014.
Ici, une société exerçant une activité de production industrielle de bardage et de charpente en bois a subi un sinistre incendie. Suite aux propositions d’indemnisation par la compagnie, cette société reproche au courtier un manquement à son devoir de conseil pour ne pas l’avoir alertée des insuffisances de garanties compte tenu de l’évolution très favorable de sa situation économique.
Le Tribunal a rappelé que le devoir de conseil doit être apprécié en fonction des aptitudes du client à apprécier lui-même son besoin d’assurance, à analyser et à comprendre les garanties offertes par le contrat et la complexité de la situation au regard de laquelle la garantie est recherchée pour rejeter la demande de l’assuré contre le courtier.
Très récemment, le Tribunal de Nantes (5) en 2017 a eu à traiter d’une affaire dans laquelle une pharmacienne propriétaire de son fonds de commerce et gérante de la SCI propriétaire des murs dans lesquels elle exerçait, a résilié son contrat à sa cessation d’activité. L’assurée pensait que cette résiliation ne concernerait que le volet couvrant son activité professionnelle, les murs restant assurés.
Suite à la survenance d’un sinistre incendie, la compagnie d’assurance a refusé sa garantie au motif de la résiliation du contrat.
La pharmacienne reproche à l’agent général de ne pas avoir attiré son attention sur les conséquences de cette résiliation sur toutes les garanties de son contrat.
Les magistrats ont relevé qu’en tant que pharmacienne, l’assurée disposait de toutes les compétences intellectuelles pour se renseigner sur les conséquences de la résiliation du contrat et s’assurer que les murs étaient toujours couverts.
La jurisprudence a donc délimité les contours des obligations d’informations tant de l’intermédiaire en assurances que de l’assuré en équilibrant les forces au regard notamment des compétences techniques, de la profession ou de l’âge du client.
L’étendue de ces obligations dépendait en quelque sorte des connaissances et des capacités techniques de ce client à comprendre le droit et plus précisément le droit des assurances.
A l’aube de la transposition de la directive IDD du 20/01/2016, (voir CGPA Conseils n° 17 – Juin 2016), quelques récentes décisions judiciaires semblent glisser vers une approche beaucoup plus objective du devoir d’information et de conseil, qui pourrait bouleverser cet équilibre des forces.
Un équilibre remis en cause ?
Une tendance semble se faire jour aux termes de laquelle les compétences de l’assuré, admises de longue date comme une limite à l’obligation d’information et au devoir de conseil, ne seraient plus forcément envisagées comme un contrepoids aux obligations de l’intermédiaire.
C’est ainsi que la cour d’appel de Douai a récemment pu trancher que : « le courtier en assurance est tenu, indépendamment des compétences de l’assuré, d’une obligation d’information et de conseil, s’étendant à la proposition d’un contrat d’assurance en adéquation avec le risque à garantir » (6).
Dans une autre affaire, relative au choix fiscal à opérer à l’occasion d’un rachat sur un contrat d’assurance-vie et alors que le client disposait de compétences en la matière, le TGI de Paris est venu trancher en des termes univoques que : « La société X ne saurait par ailleurs s’exonérer de son obligation de conseil et d’information au motif que Monsieur Y. est un dirigeant d’entreprise, alors même qu’il a justement eu recours à ses services pour se voir conseiller en matière de produits d’assurance. » (7).
Les magistrats ne considéraient plus à cette occasion la compétence de l’assuré comme un élément légitime pour dédouaner sinon atténuer le devoir de conseil de l’intermédiaire.
Pourtant, à l’image des poids que l’on viendrait poser sur les plateaux d’une balance pour les équilibrer, le devoir de conseil est traditionnellement envisagé comme un levier pour venir combler l’ignorance légitime du client sur la matière de l’assurance et atténuer le déséquilibre entourant la souscription du contrat qui procède de l’inexpérience du client d’un côté et de l’expertise de l’intermédiaire de l’autre.
Ainsi, intimement lié au profil du client, le devoir de conseil trouvait sa limite dans les compétences de ce dernier et il n’était pas dû lorsque le client, eu égard à son expertise dans un domaine ou bien de son niveau d’instruction, était à même de choisir ou de comprendre les caractéristiques du contrat auquel il souhaitait souscrire.
Cependant, et de manière nouvelle, la cour d’appel de Paris a récemment pu décider que : « la circonstance que certains des dirigeants de la société X […] avaient géré de précédentes entreprises, ne saurait, à elle seule, suffire à exonérer la société X de son obligation d’information et de conseil » (8) alors qu’en l’espèce, les dirigeants, qui disposaient, compte tenu de leurs expériences passées et de l’ancienneté de la société souscriptrice, d’une compétence certaine dans le domaine de l’import/export, avaient fait le choix de ne pas se garantir pour l’entreposage et le stockage de marchandises.
Ainsi, la cour d’appel de Paris, dans son appréciation souveraine a, ici encore, éludé la question de la compétence de l’assuré (la commercialisation et la livraison de biens manufacturés) dans son appréciation du devoir de conseil.
La cour d’appel de Rouen a de la même manière pu trancher que : « le fait que M. X exerçait à l’époque de la souscription du contrat du 19 mars 2007 la profession d’huissier de justice ne saurait exonérer M. Y. de la responsabilité encourue à raison de ce manquement » (9) ce dernier s’analysant comme le fait de n’avoir pas attiré l’attention du client sur la diminution du forfait de prise en charge des frais d’expertise consécutive à la refonte du contrat souhaité par le client qui était pourtant, compte tenu de sa profession et eu égard aux termes clairs de la police, aisément compréhensible par l’assuré.
L’écho de cette décision est d’autant plus grand que la cour est venue tempérer les termes du tribunal qui avait considéré sans ambages que : « l’appréciation du manquement à l’obligation d’information et de conseil s’effectue en considération de la qualité et des compétences de l’assuré ; que M.X qui exerçait la profession d’huissier de justice, avait toutes les compétences, en sa qualité de professionnel du droit, pour apprécier l’étendue des garanties qu’il allait souscrire par rapport à celles précédemment assurées, les conditions générales des contrats litigieux étant rédigées en des termes dénués de toute ambiguïté » (10).
Les magistrats semblent donc désormais durcir les conditions auxquelles un client peut être considéré comme suffisamment averti en s’attachant à caractériser un lien suffisamment étroit entre la matière de l’assurance et la compétence du client au regard notamment de son activité professionnelle.
Et à ce jeu, les magistrats semblent déplacer le curseur relativement loin en ce que la cour d’appel d’Orléans a pu considérer qu’un client était « non averti », justifiant en conséquence un conseil de l’intermédiaire sur l’option fiscale à choisir à l’occasion d’un rachat partiel sur un contrat d’assurance-vie, alors que le tribunal avait eu le mérite de relever que le client : « dirige ou dirigeait dans le cadre de son activité professionnelle plusieurs sociétés, et notamment jusqu’en 2008 une société “XYZ” ayant pour activité le conseil pour les affaires et autres conseils de gestion ; qu’il s’en déduit qu’il avait une pratique des affaires, au point d’avoir eu pour activité de dispenser des conseils dans ce domaine, ce qui implique un minimum de connaissance des règles fiscales notamment en matière de plus-value ». (11)
Aux termes de ces décisions, le devoir de conseil semble désormais appréhendé comme un passage obligé, quitte donc à devoir conseiller le client sur des problématiques qui lui sont familières.
En clair, l’intermédiaire ne doit plus s’autoévaluer sur le degré de conseil à prodiguer au client en fonction des compétences apparentes de ce dernier.
Cette omniprésence de l’obligation d’information et du devoir de conseil se retrouve à maints égards dans la directive sur la distribution en assurance qui offre pour la première fois
une définition du devoir de conseil désormais entendu comme la « fourniture de recommandations personnalisées à un client » (12).
Elle innove également en instituant, en ce qui concerne les produits d’assurance non-vie, un document d’information normalisé destiné à fournir au client les informations pertinentes sur le produit d’assurance afin de lui permettre « de prendre une décision en connaissance de cause » (13). Cette obligation étant instituée à la charge des « concepteurs du produit », il appartiendra aux Compagnies d’effectuer ce lourd travail rédactionnel pour satisfaire à cette obligation.
Toutefois, ces « fiches-produits », qui constitueront une information supplémentaire donnée au client, ne seront pas pour autant de nature à dédouaner l’intermédiaire de son obligation d’information et son devoir de conseil à l’égard d’un client que la directive veut clairement protéger, la protection du consommateur étant envisagée par le texte comme un objectif affirmé.
A cet égard, celle-ci semble envisager le consommateur d’assurance non pas dans son acception traditionnelle c’est à-dire défini en creux comme le « non professionnel » mais bien comme un « acheteur d’assurance » sans qu’il faille dès lors s’attacher à prendre en compte le domaine dans lequel il contracte (dans le cadre ou hors de son activité professionnelle).
Malgré la place toujours plus grandissante consacrée à la protection du consommateur, il semble malgré tout que les magistrats s’attachent, en assurance peut-être plus que dans d’autres domaines de la consommation, à pondérer cet impératif avec la notion de bonne foi pour couper court à toute action d’opportunité comme dans une affaire récente où la responsabilité du courtier a été écartée, les magistrats ayant retenu non sans ironie que : « il n’était nul besoin de longues explications pour comprendre la clause de limitation de l’indemnisation des objets de valeur » (14).
Conclusion
La jurisprudence façonne de longue date les contours du devoir de conseil. Si cette notion bénéficiait jusqu’alors d’une certaine stabilité, plusieurs décisions de justice semblent dessiner une nouvelle approche de la relation-client, les compétences de l’assuré n’étant plus forcément considérées comme un élément légitime permettant de dédouaner sinon d’atténuer le devoir de conseil de l’intermédiaire. A la clé, un devoir de conseil renforcé pour les intermédiaires qui, plus que jamais, ne doivent pas se départir de leur fiche-conseil, reine des preuves en ce qui concerne l’accomplissement de ce devoir.
Cette tendance trouve un écho dans la directive sur la distribution en assurances qui fait toujours la part belle au devoir de conseil et à la protection du consommateur que la directive semble appréhender de manière extensive.
A cet égard, elle institue notamment une obligation de formalisation de l’information à l’encontre des Compagnies, obligation qui ne sera pour autant pas de nature à déresponsabiliser l’intermédiaire à l’égard du client qui reste considéré comme la partie faible au contrat.
Toutefois, cette place grandissante réservée au consommateur ne doit pas être synonyme d’impunité pour l’assuré et les magistrats maintiennent la bonne foi de ce dernier comme un garde-fou à toute action d’opportunité.
(1) Civ.1re, 10 novembre 1964, pourvoi n° 62-13411.
(2) Loi n° 2005-1564 du 15/12/2005.
(3) Civ. 2e , 24 octobre 2013, pourvoi n° 12-27000.
(4) TGI Besançon, 07 janvier 2014.
(5) TGI Nantes, 09 mars 2017
(6) CA Douai, 6 octobre 2016.
(7) TGI Paris, 24 novembre 2016.
(8) CA Paris, 11 mai 2017.
(9) CA Rouen, 10 novembre 2016.
(10) TGI Evreux, 25 août 2015.
(11) TGI Tours 19 mars 2015 et CA Orléans 30 janvier 2017
(12) Article 2 &. 15) de la Directive
(13) Article 20 ‘° et 5° de la Directive
(14) TGI Narbonne 29 juin 2017