Il existe deux possibilités pour reprendre l’exercice d’une activité d’intermédiation préexistante : la première consiste à faire l’acquisition d’un portefeuille préalablement constitué afin d’en
reprendre la gestion, la seconde à acquérir dans son ensemble la structure exerçant l’activité visée. Au-delà des incidences, notamment fiscales et comptables, ce type de rapprochement peut avoir des répercussions sur le risque RC de l’acquéreur et du cédant pour déterminer notamment qui porte la responsabilité en cas de mise en cause.
Il convient de préciser que l’agent général, qu’il soit l’agent sortant ou l’agent nouvellement nommé, n’est pas propriétaire du portefeuille de contrats qu’il gère, seule la compagnie d’assurance mandante l’étant.
La cession d’un portefeuille de contrats
Il est usuel d’évoquer cette appellation de « cession de portefeuille » tant lors de la reprise d’une agence que lors du rachat d’un portefeuille de contrats par un courtier en assurances. Néanmoins, les implications sur le plan juridique, notamment en matière de transmission de la dette de responsabilité, sont très différentes.
La reprise d’une agence
C’est cette relation particulière entre l’agent général et sa compagnie mandante qui conditionne le sort de la dette de la responsabilité. L’agent sortant ne cédant pas à son successeur de portefeuille de contrats, il n’y a donc pas entre eux de possible transmission de la dette de responsabilité. Chacun reste donc responsable vis-à-vis des assurés des erreurs personnellement commises pendant la période où il a géré le portefeuille de contrats de la compagnie.
La reprise d’une agence n’engendre donc aucune reprise du passif ni, a fortiori, de transmission de la dette de responsabilité de l’agent sortant vers le nouvel agent.
Cela étant, bien souvent l’assuré mettra, malgré tout, en cause la responsabilité du nouvel agent pour les fautes commises par son prédécesseur. Dans une affaire récente, un agent nouvellement nommé avait reçu plusieurs lettres de mise en cause émanant de clients se plaignant de la gestion faite par l’agent sortant de leurs sinistres déclarés au titre de contrats d’assurance souscrits et gérés par le prédécesseur et aujourd’hui résiliés.
S’il n’y a pas, pour le nouvel agent, de reprise de la dette RC de l’agent sortant qui demeure tenu des conséquences des fautes personnellement commises par lui, lesquelles seront éventuellement prises en charge au titre de sa couverture RC subséquente, le nouvel agent sera cependant quant à lui tenu à un devoir de suivi des contrats vis-à-vis des assurés.
Dès lors, il devra se montrer particulièrement vigilant à l’occasion de la gestion des contrats d’assurance souscrits par son prédécesseur en faisant le nécessaire notamment pour réactualiser les garanties de ces contrats en fonction des nouveaux besoins en assurances des clients ou, a minima, en attirant régulièrement leur attention sur les enjeux de la mise en adéquation des garanties par rapport à l’évolution du risque, sinon il pourra voir sa propre responsabilité recherchée, en cours de contrat, pour avoir manqué à son devoir de suivi.
La cession d’un portefeuille de contrats entre courtiers en assurances
Souvent la cession de portefeuille est précédée d’une mise en location en gérance.
Cette convention de location gérance est généralement conclue entre un courtier dit « loueur » qui souhaite céder prochainement son portefeuille à un autre courtier dit « locataire gérant » qui va faire en sorte de faire fructifier le portefeuille de contrats du courtier « loueur » en vue de l’acquérir dans un second temps.
Il n’y a donc pas, au stade la location gérance d’un fonds de commerce, de cession du portefeuille de contrats. Il s’ensuit alors que le courtier « loueur » reste responsable de sa gestion passée et le locataire gérant de sa gestion présente.
Juridiquement, lors de la cession de son portefeuille le courtier cède tout ou partie de son fonds de commerce c’est-à-dire des éléments corporels (schématiquement le fruit des contrats d’assurance dont il est propriétaire) et des éléments incorporels (sa clientèle). Lors de la cession de tout ou partie de son fonds de commerce, le courtier cédant ne cédera au courtier cessionnaire que des éléments d’actif.
La cession d’un portefeuille de contrats n’implique pas par principe de reprise du passif c’est-à-dire notamment de transmission de la dette de responsabilité du courtier cédant vers le courtier cessionnaire.
Exemple d’un acte de cession qui ne comprend pas de clause de reprise du passif par le cédant : « je soussigné M. Martin courtier en assurances atteste sur l’honneur avoir cédé mon portefeuille de courtage en date du 1er janvier 2011. En conséquence de quoi, il est convenu ce qui suit : M. Martin, cédant vend à M. PAUL, acquéreur son portefeuille de courtage. Demande que les rémunérations soient transférées à M. Paul, qu’il conserve le bénéfice de la commission brute versée par les entreprises d’assurances sur les contrats en portefeuille. M. Paul s’engage à souscrire une assurance responsabilité civile professionnelle et de garantie financière comme l’exige la loi pour l’exercice de cette activité.
Ce n’est donc que par dérogation que le courtier cédant pourrait convenir contractuellement avec le courtier cessionnaire, dans le cadre d’un acte de cession négocié, d’une transmission de sa dette de responsabilité par le biais d’une clause spécifique dite de « reprise du passif ».
Cette clause de reprise du passif devra être expresse et sans aucune ambiguïté possible pour son lecteur. En effet, la simple mention d’une reprise du passif dans la partie comptable d’un acte de cession ne saurait valoir mention de la transmission de la dette de responsabilité du courtier cédant vers le courtier cessionnaire. Il convient en effet de prévoir une clause spécifique de reprise du passif rédigée de préférence par un professionnel du droit de façon à éviter une interprétation de cette clause par les magistrats qui essaieront alors de déterminer quelle était la commune intention des parties.
Généralement, cette reprise du passif s’accompagne d’une diminution sur le prix du portefeuille cédé par le courtier cédant pour compenser la transmission de sa dette RC vers le courtier cessionnaire. Si l’acte de cession comporte une clause de reprise de la dette RC parfaitement claire, les magistrats mettront à la charge du courtier cessionnaire les conséquences de la responsabilité du cédant en cas de litige avec le client trouvant sa source dans des fautes commises par le courtier cédant.
Dans une affaire ancienne, le courtier cessionnaire avait été assigné aux côtés du courtier cédant et de la compagnie d’assurance. Les magistrats ont condamné le courtier cessionnaire sur la foi d’une convention de cession produite par le courtier cédant qui incluait une clause de reprise du passif parfaitement claire en retenant la motivation suivante : « le courtier chargé de la gestion du contrat d’assurance tant lors de la souscription que lors du sinistre était le cabinet A que ce dernier a cédé son portefeuille de courtage d’assurance au courtier B selon acte du 30 juillet 1999, qu’il était stipulé dans son article 4 que “le cessionnaire sera subrogé dans tous les droits appartenant au cédant en qualité de titulaire du portefeuille objet des présentes et sera tenu en ses lieux et place de toutes les obligations pouvant lui incomber en la même qualité” qu’il en résulte que c’est au courtier B, qui a repris l’ensemble des droits et obligations du courtier A, et à compter de l’acte de cession comme elle le prétend, de prendre en charge le sinistre du client »
L’acceptation par le courtier cessionnaire de l’insertion d’une clause de reprise du passif valant reprise de la dette RC dans un acte de cession doit être particulièrement réfléchie de la part du courtier cessionnaire car il s’engage sur le long terme pour un passif dont il ne peut connaître réellement la consistance. Une telle clause a donc pour effet de générer une aggravation de la responsabilité du cessionnaire dont il doit informer impérativement son assureur RC au risque de s’exposer à des sanctions (nullité du contrat pour dissimulation des antécédents, non déclaration d’une aggravation du risque …) car cette clause est de nature à modifier l’opinion que l’assureur peut se faire du risque à assurer. L’ensemble de cette réflexion est bien évidemment transposable à toute cession entre intermédiaires (tels les CIF, CGP…).
La cession de droits sociaux
Le second mode de reprise d’une activité d’intermédiation consiste à racheter dans son ensemble la société exerçant l’activité visée.
Si la cession de portefeuille consiste en une cession de fonds de commerce, la cession de droits sociaux s’analyse, elle, comme un transfert de l’ensemble des éléments de la société cédée. Dans le premier cas, l’acquéreur n’emporte chez lui que ce qu’il est réputé avoir acquis, dans le second cas, l’acquéreur « s’installe » dans une société avec tout ce qui la compose, pour le meilleur et pour le pire. En cas de rachat des droits sociaux (parts sociales) d’une société, celle-là continue d’exister, et par conséquent d’assumer toutes les conséquences des éventuelles fautes qui auraient pu être commises par les précédents gérants sous l’égide de leurs mandats sociaux : le cessionnaire acquiert dans son entier la société et reprend à ce titre l’actif et le passif, même si ce dernier s’avère antérieur à la cession ou inconnu lors de la cession. Vis-à-vis des clients, la cession est donc transparente en cas de mise en cause.
S’agissant de l’éventuelle dette de RC, la police RC professionnelle souscrite par la société dont les parts ont été acquises perdure tant qu’aucune des parties à ce contrat d’assurance n’en sollicite la résiliation et, ce, au plus tard, jusqu’à l’expiration du délai de garantie subséquente accordé par le contrat si d’aventure la résiliation était motivée par la disparition de la société.
Exemple : une société de courtage acquiert les parts sociales d’une société concurrente afin d’étoffer son portefeuille dans le domaine de la prévoyance. Trois années après la cession, la société ayant acquis les parts sociales fait l’objet d’une assignation au titre d’un contrat santé souscrit par la société cédante pour manquement au devoir de conseil, les garanties souscrites étant jugées insuffisantes par le tiers réclamant. C’est la société cessionnaire qui a été contrainte de mobiliser sa couverture RC professionnelle et de conserver à sa charge la franchise contractuelle lorsqu’elle a été condamnée par les magistrats.
Les parties à l’acte de cession peuvent prévoir d’annexer à l’acte une garantie du passif que le cédant donne au cessionnaire des parts sociales et d’y inclure dans cette garantie l’éventuelle dette de RC (pour tout fait dont l’origine se situerait avant la date de la cession mais dont la réclamation lui serait postérieure). Le cédant assumerait à ce titre les conséquences des fautes à l’origine du litige lesquelles se cantonneraient, compte tenu de la survivance de la couverture RC professionnelle, à la seule prise en charge du montant de la franchise contractuelle en cas d’engagement avéré de la responsabilité civile.
Il conviendra évidemment d’être particulièrement vigilant à la rédaction de la convention de garantie du passif déterminant les conditions dans lesquelles celle-là serait amenée à être mobilisée (montant, durée, franchise…). Ces mécanismes de reprise de la dette RC sont d’application usuelle lorsque deux sociétés commerciales effectuent entre elles des opérations de fusion absorption (ou de scission).
La transmission universelle de patrimoine
Il existe un autre mécanisme dont les conséquences à cet égard sont similaires : il s’agit de la transmission universelle de patrimoine (« TUP »). Il s’agit d’une forme de fusion entre deux sociétés dont l’une détient 100 % du capital de l’autre qu’elle va pouvoir absorber par simple dissolution. La jurisprudence considère que la société qui absorbe le patrimoine d’une autre via une « TUP » vient activement et passivement au lieu et place de la société absorbée. Par conséquent, les créances et les dettes sont automatiquement transférées à la société absorbante, y inclus la dette RC.
Dans une affaire récente, un client avait adhéré à un contrat d’assurance de prévoyance de groupe par l’intermédiaire d’un courtier A.
En avril 2010, le courtier A cède son portefeuille à un autre courtier B (convention prévoyant une clause de reprise du passif par le cessionnaire). En décembre 2010, suite à une opération, l’assuré fait l’objet d’un arrêt de travail pour lequel aucune indemnité journalière ne lui a été versée par l’assureur, motif pris qu’il n’avait pas déclaré la réalité de son état de santé. En août 2011, le courtier B a été absorbé par un courtier C dans le cadre d’une transmission universelle de patrimoine. L’assuré ayant contesté auprès de la compagnie avoir signé le questionnaire de santé assigne en 2014 l’assureur qui à son tour assigne le courtier C en raison des prétendus manquements commis par le courtier A.
Alors même que le courtier A existe toujours (contrairement au courtier B dont la personnalité morale a disparu par l’effet de la TUP) c’est donc le courtier C qui devra assumer, si sa responsabilité est retenue par les magistrats, les conséquences financières de la faute commise par le courtier A.
Cet exemple illustre le caractère aggravant en terme de responsabilité pour le courtier cessionnaire de l’effet conjugué d’une cession de portefeuille de contrats et d’une transmission universelle de patrimoine. La croissance externe doit donc être maitrisée par les courtiers qui souhaitent la pratiquer…
Si la cession de droits sociaux peut s’avérer incolore pour l’assureur qui porte le risque RC de la société cédée, l’acquéreur doit garder à l’esprit les incidences de la survivance de la couverture RC professionnelle de la société absorbée.
En effet, si l’acquéreur des parts sociales ou la société absorbante disposaient par ailleurs d’une couverture RC souscrite auprès d’un autre assureur, ils risquent de se retrouver confrontés à un potentiel cumul de couverture sur un même risque dès lors qu’un sinistre surviendrait postérieurement à la cession mais dont la RC incomberait à la société acquise ou absorbée.
Quelle qu’en soit la motivation (notamment lorsqu’elle s’inscrit dans le cadre d’une croissance externe) et la nature de l’activité d’intermédiation envisagée, une cession, qu’elle porte sur un portefeuille ou sur les droits sociaux d’une structure concurrente, doit être parfaitement appréhendée et formalisée. De ce calibrage va dépendre la pertinence de la couverture RC souscrite sur ce risque et l’anéantissement d’une éventuelle insécurité juridique qui ne se révèlerait qu’à l’occasion d’une mise en cause. L’assureur de RC professionnelle doit donc être tenu informé des dispositions de l’acte de cession pour anticiper une adaptation de la couverture et éviter ainsi des déconvenues.